Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/89

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qui nous avait envahis rendait plus triste et plus terrible nol«e situation incommode, pénible, misérable. Si belliqueux et résolu qu’on eût été la veille, on avouait qu’un armistice était désirable, car les plus courageux, les plus ardents, étaient forcés de reconnaître, après quelque réflexion, qu’une attaque serait l’entreprise la plus téméraire du monde. Les opinions flottèrent encore pendant le jour, où l’on garda, pour sauver les apparences, la même position que pendant la canonnade ; mais, vers le soir, on changea un peu ; enfin le quartier général fut porté à Hans, et nous fûmes rejoints par les bagages : c’est alors que nous apprîmes les alarmes, les dangers de nos domestiques, qui avaient failli tomber, avec tous nos effets, dans les mains de l’ennemi.

La forêt de l’Argonne, de Sainte-Menehould à Grandpré, était occupée par les Français ; de là leurs hussards nous faisaient une audacieuse et sournoise petite guerre. Nous avions appris la veille qu’un secrétaire et quelques autres serviteurs du duc de Brunswick avaient été pris entre l’armée et la barricade des chariots, laquelle ne méritait nullement ce nom, car elle était mal établie, elle n’était point fermée ni suffisamment défendue. Les aveugles rumeurs se succédaient pour y jeter l’alarme, sans parler de la canonnade à une faible distance. Plus tard, le bruit, faux ou vrai, se répandit que les troupes françaises étaient déjà descendues des bois, et sur le point de s’emparer de tous les équipages. Un coureur du général Kalkreuth, qu’ils avaient pris et relâché, se donna une grande importance en assurant que, par d’heureux mensonges, en parlant d’une nombreuse escorte, de batteries volantes et d’autres moyens de défense, il les avait préservés d’une attaque. C’est possible ! Qui n’a pas eu à faire, qui n’a pas fait beaucoup, dans ces moments critiques ?

Nous avions les tentes, les voitures, les chevaux, mais pas la moindre nourriture. Au milieu de la pluie on manquait d’eau ; quelques étangs étaient déjà corrompus par les cadavres des chevaux. Tout cela réuni faisait une situation affreuse. Je ne comprenais pas pourquoi Paul Goetze, mon élève, mon serviteur et mon compagnon fidèle, recueillait très-soigneusement l’eau qui s’écoulait du cuir de ma voiture ; il m’apprit qu’il la