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Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/91

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ils croyaient avoir fait une bonne capture. On se hâta de briser l’armoire, et l’on y trouva un gros livre de cuisine, et, tandis que le meuble, mis en pièces, flambait au feu, on lisait les excellentes recettes, et, cette fois encore, la faim et,la convoitise étaient portées jusqu’au désespoir par l’imagination excitée.

24 septembre 1792.

Le plus horrible temps du monde fut en quelque façon éclairci par la nouvelle qu’un armistice était conclu, et qu’on avait du moins la perspective de pouvoir souffrir et jeûner avec quelque tranquillité d’esprit. Toutefois ce ne fut encore qu’une demi-consolation, car on apprit bientôt qu’on était seulement convenu que les avant-postes cesseraient leurs hostilités, mais qu’on était libre d’ailleurs de continuer les opérations de guerre. Cela était proprement stipulé à l’avantage des Français, qui pouvaient tout autour de nous changer leur position et nous envelopper mieux encore : nous, au contraire, nous ne pouvions que rester immobiles au centre et demeurer dans notre inertie. Les avant-postes profitèrent de la permission avec joie. Ils convinrent d’abord que ceux de l’un ou l’autre parti qui recevraient le vent et la pluie au visage auraient le droit de se retourner, et de s’envelopper de leurs manteaux, sans avoir rien à craindre du parti contraire. Bien plus, les Français avaient encore quelques vivres ; les Allemands étaient dépourvus de tout : leurs ennemis partagèrent avec eux, et l’on devint toujours meilleurs camarades ; enfin les Français répandirent amicalement des feuilles imprimées, qui annonçaient, dans les deux langues, aux bons Allemands les avantages de la liberté et de l’égalité. Les Français imitaient en sens contraire le manifeste du duc de Brunswick ; ils offraient amitié et hospitalité, et quoiqu’ils eussent déjà sur pied plus de troupes qu’ils n’en pouvaient gouverner, cet appel, du moins dans ce moment, avait pour objet d’affaiblir le parti contraire plutôt que de les fortifier eux-mêmes.

Parmi mes compagnons d’infortune, je plaignais aussi dans ce moment deux jolis garçons de quatorze ou quinze ans. Ils avaient été mis en réquisition ; avec quatre faibles chevaux, ils