Page:Goethe - Les Affinités électives, Charpentier, 1844.djvu/114

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Ce fut ainsi, et peut-être plus que jamais, que ce soir-là elle se montra à son époux ; car l’image aérienne du Capitaine était toujours devant elle, et semblait lui demander une fidélité impossible. Son agitation était visible, et la rougeur de ses yeux prouvait qu’elle avait pleuré. Si les larmes ennuient et fatiguent chez les personnes faibles qui en répandent à tout propos, elles ont un attrait irrésistible quand nous en découvrons les traces chez une femme que nous avons toujours connue forte et maîtresse de ses émotions ; aussi Édouard se montra-t-il plus aimable, plus empressé que jamais.

Plaisantant et suppliant tour à tour, mais sans jamais invoquer ses droits, il feignit de renverser la bougie par maladresse ; son intention avait été de l’éteindre, et il réussit.

A la faible clarté de la veilleuse, les penchants du cœur reprirent leurs droits, et l’imagination mit l’idéal à la place de la réalité : C’était Ottilie qu’Édouard tenait dans ses bras, et l’âme de Charlotte se confondait avec celle du Capitaine. Ce fut ainsi, et par un singulier mélange de vérité et d’illusion, que les absents et les présents s’unirent et se confondirent par un lien plein de charmes et de bonheur !

Le présent sait toujours rentrer dans l’exercice plein et entier de son immense privilège. Les deux époux passèrent une partie de la nuit dans des conversations d’autant plus gracieuses, que le cœur n’y était pour rien.

Édouard se réveilla au point du jour ; en se voyant dans les bras de sa femme, il lui sembla que le soleil ne se levait que pour éclairer le crime de la nuit, et il s’enfuit avec égarement.

Quelle ne fut pas la surprise de Charlotte, lorsqu’en se réveillant à son tour elle se trouva seule !