Page:Goethe - Les Affinités électives, Charpentier, 1844.djvu/118

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pressaient les siennes, il allait de nouveau l’attirer sur son cœur…

La porte s’ouvrit, Charlotte et le Capitaine entrèrent et cherchèrent à justifier leur retard. Édouard sourit dédaigneusement.

— Hélas ! se dit-il à lui-même, vous êtes arrivés trop tôt, beaucoup trop tôt.

On se mit à table, et la conversation roula sur les voisins qui avaient passé une partie de la journée au château. Trop heureux pour être malveillant, le Baron n’avait que du bien à en dire. Charlotte était loin de partager son opinion, et son indulgence l’étonna ; il ne l’y avait point accoutumée, car d’ordinaire il critiquait sévèrement et sans pitié. Elle lui en fit l’observation.

— Ce changement est fort naturel, répondit-il ; quand on aime de toutes les forces de son âme une noble créature humaine, toutes les autres nous paraissent aimables.

Ottilie baissa les yeux, Charlotte resta pensive. Le Capitaine prit la parole.

— Je crois, dit-il, qu’il en est de même de l’estime que de la vénération ; quand on a trouvé un être digne que l’on fixe ses sentiments sur lui, on aime à les étendre sur tous les autres.

Charlotte ne tarda pas à se retirer dans ses appartements où elle s’abandonna au souvenir de ce qui s’était passé entre elle et le Capitaine dans le cours de la soirée.

En sautant sur le rivage, Édouard avait poussé la nacelle sur l’étang qu’enveloppait le crépuscule du soir, et Charlotte regarda avec une douce tristesse l’ami pour lequel elle avait déjà tant souffert et qui la guidait