Page:Goethe - Les Affinités électives, Charpentier, 1844.djvu/127

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petite, qu’au premier mouvement qu’il fit, le papier tomba par terre. Charlotte le releva et y jeta un regard fugitif.

— Voici, dit-elle, en lui remettant ce billet, quelque chose de ton écriture que tu ne serais peut-être pas content de perdre.

Édouard la remercia d’un air embarrassé.

— Est-ce de la dissimulation, se dit-il à lui-même, ou prend-elle en effet l’écriture d’Ottilie pour la mienne ?

Ce hasard et plusieurs autres du même genre qu’on peut regarder comme des avertissements par lesquels la Providence daigne quelquefois chercher a nous garantir contre les dangers qui nous menacent, étaient perdus pour lui. Les entraves que l’on opposait à sa passion l’irritèrent toujours plus fortement, et bientôt un sentiment de malveillance, de haine, remplaça son ancienne affection pour sa femme et pour son ami. Parfois, cependant, il se reprochait ce changement, et alors il cherchait à cacher ses remords sous une gaîté folle ; mais comme cette gaîté ne partait pas du cœur, elle dégénérait en ironie amère.

Charlotte supporta toutes ces boutades avec patience et courage. Irrévocablement décidée à renoncer au Capitaine, ce sacrifice la rendait satisfaite et fière d’elle-même, et lui inspirait le désir de venir en aide au couple qui marchait si imprudemment vers l’abîme qu’elle avait su éviter. Elle sentait que pour éteindre une passion arrivée à un aussi haut degré de violence, il ne suffit pas de séparer les amants, elle essaya de donner quelques conseils généraux à Ottilie. Malheureusement ces conseils se rapportaient aussi bien à sa propre position qu’à celle de sa nièce ; et plus elle cherchait à détourner cette