Page:Goethe - Les Affinités électives, Charpentier, 1844.djvu/13

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avons-nous les connaissances nécessaires pour une pareille entreprise ? lui seul pourra nous aider à les acquérir ; je ne sens que trop combien j’ai besoin d’un pareil ami. Les agronomes qui ont étudié cette matière dans les livres et dans les établissements spéciaux, raisonnent plus qu’ils n’instruisent, car leurs théories n’ont pas passé au creuset de l’expérience ; les campagnards tiennent trop aux vieilles routines, et leurs enseignements sont toujours confus, et souvent même volontairement faux. Mon ami réunit l’expérience à la théorie sur ce point, et sur une foule d’autres dont je me promets les plus heureux résultats, surtout par rapport à toi. Maintenant je te remercie de l’attention avec laquelle tu as bien voulu m’écouter ; dis-moi à ton tour franchement ce que tu penses, je te promets de ne pas t’interrompre.

— Dans ce cas, répondit Charlotte, je débuterai par une observation générale. Les hommes s’occupent surtout des faits isolés et du présent, parce que leur vie est tout entière dans l’action, et par conséquent dans le présent. Les femmes, au contraire, ne voient que l’enchaînement des divers événements, parce que c’est de cet enchaînement que dépend leur destinée et celle de leur famille, ce qui les jette naturellement dans l’avenir et même dans le passé. Associe-toi un instant à cette manière de voir, et tu reconnaîtras que la présence du capitaine chez nous, dérangera la plupart de nos projets et de nos habitudes.

— J’aime à me rappeler nos premières relations, continua-t-elle, et, surtout, à t’en faire souvenir. Dans notre première jeunesse, nous nous aimions tendrement ; et l’on nous a séparés parce que ton père, ne comprenant d’autre bonheur que la fortune, te fit épouser