Page:Goethe - Les Affinités électives, Charpentier, 1844.djvu/166

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le-même, occupait Charlotte très-désagréablement. Ce dernier motif nous oblige de la rapporter avec tous ses détails.

L’on n’a pas oublié sans doute les changements que Charlotte avait fait exécuter dans le cimetière du village : les croix et les monuments avaient été rangés contre la muraille du fond et le socle de l’église ; le reste du terrain nivelé et semé de trèfle formait une riante prairie traversée par une seule route qui conduisait de la porte du cimetière à celle de l’église. Les nouveaux tombeaux étaient creusés au fond près du mur et sans former de tertre ; Charlotte avait même ordonné de semer sur la terre nouvellement remuée, du trèfle et de l’herbe afin de cacher, autant que possible, l’image de la mort aux yeux des vivants. Le vieux pasteur, attaché aux anciennes routines, avait d’abord blâmé cette mesure. Mais lorsque le soir, semblable à Philémon, il venait s’asseoir avec sa Baucis sur les tilleuls qui ornaient l’entrée du presbytère, il comprit qu’il était plus agréable d’avoir en face de lui une belle prairie dont l’herbe servait à la nourriture de ses vaches, qu’un champ de mort hérissé de tertres et d’insignes lugubres.

Quelques habitants du village continuaient cependant à blâmer une réforme qui leur enlevait la consolation de voir la place où l’on avait enterré leurs pères. Les croix et les monuments rangés avec ordre, leur disaient toujours les noms des personnes qu’ils avaient perdues et la date de leur mort ; mais ces noms et ces dates les intéressaient beaucoup moins que la place où reposaient leurs restes. Telle était aussi l’opinion du gentilhomme qui protestait contre les réformes de Charlotte ; car il avait dans ce cimetière une place réservée