Page:Goethe - Les Affinités électives, Charpentier, 1844.djvu/169

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naturel de ne point la hérisser de tertres disgracieux.

Au reste, en étendant sur tous une seule et même couverture, elle devient plus légère pour chacun.

— Ainsi, dit Ottilie, tout sera terminé pour nous, sans que nous ayons laissé une marque, un signe qui puisse aller au-devant de la mémoire, pour lui rappeler que nous avons été.

— Non, non, répondit vivement l’Architecte, ce n’est pas au désir de perpétuer le souvenir de notre existence, mais à la place où nous avons cessé d’être, qu’il faudrait renoncer. L’architecture, la sculpture, la plupart des arts, enfin, ont besoin que l’homme leur demande une marque durable de ce qu’il a été. Pourquoi donc les placer au hasard, dans des lieux exposés à toutes les intempéries des saisons ? tandis qu’il serait possible, facile même de les réunir dans des monuments spéciaux, et de leur donner ainsi plus de noblesse et de durée. Depuis que les grands ne jouissent plus du privilège de faire déposer leurs restes dans les églises, ils s’y font élever des monuments ! Que cet exemple nous éclaire enfin. Il y a mille et mille formes pour ennoblir un édifice consacré à de pareils souvenirs.


— Puisque l’imagination des artistes est si riche, dit Charlotte, vous devriez bien m’apprendre comment ils pourraient faire autre chose que des urnes, des obélisques et des colonnes. Quant à moi, je n’ai jamais vu, au milieu des mille et mille formes dont vous venez de me parler, que mille et mille répétitions de ces trois types.

— Cette uniformité désespérante existe chez nous, Madame, mais elle est loin d’être universelle. Je conviens, au reste, qu’il est fort difficile de rendre un sentiment grave d’une manière gracieuse et d’exprimer agréablement la tristesse. Je possède une assez jolie collection de