Page:Goethe - Les Affinités électives, Charpentier, 1844.djvu/205

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

autres causèrent plus d’un désordre par leur manque d’usage et leur grosse gaîté.

Au milieu de ce mouvement perpétuel, le Comte et la Baronne arrivèrent de la manière la plus inattendue ; leur présence convertit tout à coup cette cohue bigarrée en une véritable cour. Les hommes les plus distingués par leur rang et leurs manières se groupèrent autour du Comte, et la Baronne donna l’impulsion aux dames qui, toutes, rendaient justice à son mérite supérieur.

On avait été surpris d’abord de les voir arriver ensemble et publiquement. L’air de satisfaction qui respirait sur leur visage avait mis le comble à cette surprise. En apprenant que la femme du Comte venait de mourir, et que, par conséquent, il pouvait épouser la Baronne dès que les convenances sociales le lui permettraient, on comprit leur gaîté et on la partagea franchement.

Ottilie seule se rappela avec une vive douleur leur première visite, et tout ce qui avait été dit alors sur le mariage et le divorce, sur le devoir et les penchants, sur les désirs et sur la résignation. Ces deux amants dont, à cette époque, rien encore n’autorisait les espérances, se représentaient devant elle, sûrs enfin de leur bonheur, au moment même où tout lui imposait la loi de renoncer au sien. Il était donc bien naturel qu’elle ne pût les revoir sans étouffer un soupir et essuyer furtivement une larme de regret.

A peine Luciane eut-elle appris que le Comte aimait la musique, qu’elle organisa des concerts, où elle espérait briller par son chant qu’elle accompagnait de la guitare, instrument dont elle se servait avec art. Quant à sa voix, elle était belle et bien cultivée ; mais il était aussi