Page:Goethe - Les Affinités électives, Charpentier, 1844.djvu/213

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A la fin d’un splendide dîner qui avait surexcité la gaîté des convives, on railla la maîtresse du château sur la rapidité avec laquelle on avait dévoré toutes ses provisions d’hiver, et sur la fausse honte qui l’empêchait d’avouer franchement à ses hôtes qu’ils n’avaient qu’à chercher fortune ailleurs puisqu’elle ne pouvait plus les nourrir.

Le gentilhomme qui, dans la représentation des tableaux, s’était chargé du personnage de Bélisaire, aspirait depuis longtemps au bonheur de posséder la charmante Luciane chez lui ; son immense fortune lui permettait de satisfaire toutes les fantaisies de cet objet de son adoration. Encouragé par la plaisanterie que l’on venait de faire, il osa exprimer nettement ce désir.

— Puisque la famine vous chasse d’ici, belle dame, lui dit-il, ayez le courage d’en agir à la polonaise : venez me dévorer chez moi, et ainsi de suite à la ronde, jusqu’à ce que vous ayez affamé la contrée tout entière.

Cette proposition charma la jeune étourdie ; on fit les paquets à la hâte et, dès le lendemain, l’essaim s’abattit dans sa nouvelle ruche. On y trouva plus d’espace, plus d’abondance et de profusion, et par conséquent moins d’ordre, de commodité et de bien-être réel ; d’où il résultait une foule de quiproquo et de situations comiques, qui achevèrent d’enchanter Luciane.

La vie qu’elle menait et qu’elle faisait mener aux siens, devenait toujours plus désordonnée et plus sauvage : des battues dans les forêts, des courses à pied et à cheval, des collations et des danses en plein air au milieu des neiges et des glaces, enfin tout ce qu’il était possible