Page:Goethe - Les Affinités électives, Charpentier, 1844.djvu/221

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

c. A cet effet elle traîna, un soir, la pâle et tremblante jeune fille qu’elle croyait avoir guérie, au milieu des salons du château encombrés d’une brillante société. Cette apparition inattendue excita une si vive curiosité chez les uns, et causa tant de crainte aux autres, que tout le monde se conduisit de la manière la plus maladroite et la plus déplacée. On ne regardait que la malade, on se chuchotait à l’oreille, on se pressait autour d’elle ou on la fuyait avec affectation. Déjà éblouie par l’éclat des lumières et des parures, par le bruit et les apprêts d’une fête, cet accueil acheva de troubler sa raison. Elle s’enfuit épouvantée en poussant des cris de terreur, comme si elle venait d’apercevoir un monstre prêt à la dévorer. A peine eut-elle fait quelques pas, qu’elle tomba sans connaissance ; Ottilie la reçut dans ses bras et, secondée par le peu d’amis qui avaient osé la suivre, elle la porta dans sa chambre.

Luciane réprimanda sévèrement la société sur l’inconséquence de sa conduite, sans songer le moins du monde qu’elle était l’unique cause du malheur dont elle accusait les autres. Cette triste expérience n’était pas la première, et, selon toutes les probabilités, elle ne suffit pas pour la faire renoncer à la funeste manie de se poser en médecin de l’âme et du corps.

Depuis ce jour l’état de la malade avait tellement empiré, que ses parents s’étaient vus forcés de la placer dans une maison d’aliénés. Malheureusement Charlotte ne pouvait offrir que des consolations stériles, en échange du mal que sa fille avait causé. Ottilie, surtout, déplorait l’état de la pauvre malade, car elle avait la conviction qu’en continuant de la traiter comme on l’avait fait, elle n’eût pas tardé à être complètement guérie.