Page:Goethe - Les Affinités électives, Charpentier, 1844.djvu/245

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se perd dans un passé lointain, et use ses forces à vouloir faire revenir ce qui ne peut et ne doit plus être. C’est ainsi que dans les grandes et riches familles qui doivent tout à leurs ancêtres, on parle plus souvent du grand-père que du père, du bisaïeul que de l’aïeul.

Cette réflexion avait été inspirée au Professeur par la promenade qu’il venait de faire dans l’ancien grand jardin du château ; le temps était doux et beau, c’était une de ces journées par lesquelles l’hiver, prêt à s’enfuir devant le printemps, semble vouloir emprunter les allures de son jeune et brillant successeur. Les allées régulières que le père d’Édouard avait fait planter dans ce jardin lui donnait quelque chose d’imposant ; les tilleuls et tous les autres arbres avaient prospéré au-delà de toute espérance et cependant personne ne daignait plus leur accorder la moindre attention ; d’autres goûts avaient donné lieu à d’autres genres d’embellissements. Les penchants et les dépenses s’étaient fixés sur un champ plus vaste. Peu accoutumé à déguiser sa pensée, le Professeur communiqua les impressions de sa promenade à Charlotte qui ne s’en offensa point.

— Hélas ! lui dit-elle, nous croyons agir d’après nos propres inspirations et choisir nous-même nos plaisirs et nos travaux, mais c’est la vie qui nous entraîne ; nous cédons à l’esprit de notre époque, et nous suivons ses tendances sans le savoir.

— Et qui pourrait résister à ses tendances ? répondit le Professeur ; le temps marche toujours, et les opinions, les manières de voir, les préjugés et les penchants marchent avec lui. Si la jeunesse du fils tombe à une époque de réaction, il est certain qu’il n’aura rien de commun avec son père. Supposons que pendant la vie de ce père on ne songeait qu’à acquérir, à consolider,