Page:Goethe - Les Affinités électives, Charpentier, 1844.djvu/265

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d’avoir pu terminer nos apprêts. C’est rarement notre faute, et presque toujours celle des circonstances, des passions, du hasard, de la nécessité.

Le Lord était loin de présumer que ces observations pouvaient s’appliquer à la situation de la tante et de la nièce. Les généralités les plus indéterminées deviennent toujours des allusions, quand on les énonce devant plusieurs personnes, lors même que l’on connaîtrait parfaitement l’ensemble de leurs rapports de famille et de société.

Charlotte avait si souvent été blessée de la sorte par les amis les mieux intentionnés, et sa haute raison envisageait le monde sous un point de vue si juste, qu’elle supportait, sans en souffrir, les attaques involontaires qui la forçaient à reporter ses regards sur tel ou tel point fâcheux de son existence. Mais pour Ottilie qui rêvait et pressentait plutôt qu’elle ne jugeait, et que son extrême jeunesse autorisait à détourner les yeux de ce qu’elle ne voulait ou ne devait pas voir ; pour Ottilie, disons-nous, les remarques de l’Anglais avaient quelque chose d’effrayant. Il lui semblait qu’il venait de déchirer le voile gracieux sous lequel l’avenir se cachait encore pour elle. Le château, les promenades, les constructions nouvelles, ne lui paraissaient plus que de froides inutilités, puisque leur véritable propriétaire n’en jouissait pas, et qu’il errait à travers le monde, non en voyageur et pour sa propre satisfaction, mais exposé à tous les dangers de la carrière militaire dans laquelle il avait été poussé par dévouement pour les objets de ses affections. Accoutumé depuis longtemps à écouter en silence, elle ne répondit rien, mais son cœur était déchiré. Loin de présumer l’effet qu’il avait produit,