Page:Goethe - Les Affinités électives, Charpentier, 1844.djvu/275

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l’irritation qui avait agité son enfance se réveilla chez elle avec ses ruses malfaisantes et ses funestes emportements, pour causer des maux plus grands sur un degré plus élevé de l’échelle de la vie. Afin de punir de sa froide indifférence l’homme qu’elle n’avait tant haï que pour l’aimer davantage encore, elle prit la résolution de mourir. Ne pouvant être à lui, elle voulait au moins vivre dans son imagination comme un éternel sujet de repentir, laisser dans sa mémoire l’image ineffaçable de ses restes inanimés, et le réduire ainsi à se reprocher toujours de n’avoir su ni apprécier ni deviner le sentiment qu’elle lui avait voué.

Tout entière sous l’empire de cette cruelle démence, qui se manifesta sous les formes les plus capricieuses, elle étonna tout le monde ; mais personne ne fut assez sage, assez pénétrant pour deviner la cause de ce singulier changement.

Les parents, les amis, les simples connaissances même, s’étaient entendus entr’eux afin de surprendre presque chaque jour les jeunes fiancés par quelque fête nouvelle ; la plupart des sites des environs avaient déjà été exploités à cette occasion. Le jeune officier cependant ne voulait pas quitter le pays sans avoir fait aux futurs époux une galanterie semblable, et il les invita, avec toute leur société, à une promenade en bateau.

Au jour indiqué tous les invités montèrent sur un de ces jolis yachts qui offrent sur l’eau presque toutes les commodités de la terre ferme, et l’on descendit le fleuve au son d’une joyeuse musique. Le salon et les petits appartements qui l’entouraient offraient un refuge agréable contre l’ardeur du soleil ; aussi la société ne tarda-t-elle pas à s’y retirer et à organiser de petits jeux.