Page:Goethe - Les Affinités électives, Charpentier, 1844.djvu/309

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avec sa position. Je compris parfaitement le sens de vos paroles, et je me posai à moi-même des lois, trop sévères peut-être, mais que je croyais conformes à tes vœux pour moi. Je les ai religieusement observées pendant tout le temps que ton amour maternel a veillé sur moi, et je leur suis restée fidèle, même quand tu m’as fait venir dans ta maison, pendant les premiers mois, du moins.

J’ai fini par sortir de la route que je devais suivre, j’ai violé les lois que je m’étais imposée, j’ai été jusqu’à oublier qu’elles étaient pour moi un devoir sacré, et maintenant qu’une catastrophe terrible m’en a punie, c’est encore toi qui viens de m’éclairer sur ma position, cent fois plus déplorable que celle de la pauvre orpheline qui retrouvait une mère en toi. Couchée comme je l’étais alors sur tes genoux, et plongée dans la même inexplicable léthargie, j’ai entendu ta voix, comme si elle sortait d’un autre monde, parler de moi et me révéler ainsi ce que je suis devenue. J’ai eu horreur de moi-même ; mais aujourd’hui, comme autrefois, je me suis, pendant mon sommeil de mort, tracé la route sur laquelle je dois marcher.

Oui, ma résolution est irrévocablement prise, et tu vas la connaître à l’instant : Je ne serai jamais la femme d’Édouard ! Dieu vient de m’ouvrir les yeux d’une manière terrible sur les crimes que j’ai commis ; je veux les expier ! Ne cherche pas à me faire revenir de cette résolution, prends tes mesures en conséquence, rappelle le Major ou écris-lui à l’instant que le divorce est impossible ! Combien n’ai-je pas souffert pendant mon immobilité ! car à chaque mot que tu lui disais, je voulais me relever et m’écrier : Ne lui donne pas d’aussi sacrilèges espérances !