Page:Goethe - Les Affinités électives, Charpentier, 1844.djvu/314

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

jeux auxquels on voulait lui faire prendre part, elle resta d’abord interdite ; puis sa tête s’égara, elle s’enfuit éperdue et tomba sans connaissance dans mes bras. Eh bien, le croiriez-vous ! cette catastrophe augmenta la curiosité de la société, chacun voulait voir de plus près la pauvre criminelle ! je ne croyais pas alors qu’un sort semblable m’était réservé ; mais ma compassion était si vive que je souffrais plus qu’elle peut-être, et je me hâtai de la ramener dans sa chambre. Qu’il me soit permis aujourd’hui d’avoir pitié de moi, et d’éviter toute position où je pourrais devenir l’héroïne d’une scène semblable.

— Songe, du moins, chère enfant, répondit Charlotte, qu’il n’en est point qui puisse entièrement te cacher au monde. Les couvents qui, dans de semblables extrémités, offrent aux catholiques un refuge paisible, n’existent pas pour nous autres protestants.

— La solitude et l’isolement, chère tante, ne font pas le seul mérite d’un refuge ; à mes yeux, il n’en est de véritablement estimable que celui qui nous offre la possibilité de nous occuper utilement. Les pénitences et les macérations ne sauraient nous soustraire aux arrêts de la Providence, quand elle les a prononcés sur nous. L’attention du monde ne serait mortelle pour moi que s’il fallait lui servir de spectacle, plongée dans une coupable oisiveté. Si son regard malveillant me trouve infatigable au travail et remplissant un devoir utile, je le soutiendrai sans rougir, car alors je ne serai plus réduite à trembler devant le regard de Dieu !

— Ou je me trompe fort, dit Charlotte, ou tes vœux te rappellent au pensionnat.

— J’en conviens. Il me paraît beau de guider les autres sur les routes ordinaires de la vie,