Page:Goethe - Les Affinités électives, Charpentier, 1844.djvu/330

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ne puis plus y rentrer. Le démon qui m’a égarée a pris tant d’empire sur moi, que j’ai beau être d’accord avec moi-même au fond de mon âme, il fait surgir des circonstances extérieures par lesquelles il m’empêche d’exécuter mes bonnes résolutions.

« Je m’étais sincèrement promis de renoncer à Édouard et de ne plus jamais le revoir. Le sort en a décidé autrement ; nous nous sommes revus malgré moi, malgré lui-même. J’ai peut-être trop fidèlement tenu la promesse que j’avais faite de ne plus jamais lui parler. Dans l’agitation cruelle du moment terrible où je l’ai vu en face de moi, ma conscience m’a dit que je devais agir comme je l’ai fait. J’ai gardé le silence, je suis devenue muette devant mon ami, et je n’ai plus rien à dire à personne. Les vœux de certains ordres religieux peuvent, parfois, peser péniblement sur celui qui les a acceptés volontairement ; le mien m’a été imposé par l’impression du moment, souffrez donc que j’y persiste tant que mon cœur m’y obligera. Ne mettez aucun médiateur entre nous, ne cherchez ni à me faire parler ni à me faire prendre plus de nourriture que je n’en ai rigoureusement besoin. Que votre indulgence, que votre bonté m’aident à sortir de cette cruelle époque de ma vie ! je suis jeune, et la jeunesse se remet facilement et au moment où on s’y attend le moins. Supportez-moi dans votre cercle, consolez-moi par votre amour, éclairez-moi par vos entretiens, mais permettez à ma conscience de ne suivre que ses propres inspirations pour tout ce qui ne concerne qu’elle. »

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Le voyage projeté des deux amis ne se réalisa point, car la mission du Major fut remise à une époque indéterminée.