Page:Goethe - Les Affinités électives, Charpentier, 1844.djvu/332

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et se rapprochaient toujours. Quand ils entraient au salon, on les voyait bientôt debout ou assis côte à côte : pour se sentir calmes et heureux, ils avaient besoin de se tenir ainsi le plus près possible ; mais ce rapprochement leur suffisait, sans leur faire désirer les communications plus positives du regard et de la parole. Alors ce n’étaient plus que deux personnes réunies en une seule par le sentiment instinctif d’un bien-être parfait, et qui se sentaient aussi contentes d’elles-mêmes que du monde. Si l’un d’eux s’était trouvé retenu malgré lui à une extrémité de l’appartement, l’autre se serait aussitôt dirigé vers ce point, sans avoir la conscience de ce mouvement. La vie était pour eux une énigme dont ils ne comprenaient le mot que lorsqu’ils étaient ensemble.

Ottilie semblait avoir retrouvé un calme parfait et une entière sérénité d’esprit, au point que l’on croyait n’avoir plus rien à redouter pour elle. Jamais elle ne se dispensait de paraître aux réunions de la famille, la table seule exceptée. Elle avait si vivement manifesté le désir de manger seule dans sa chambre, qu’on s’était cru obligé de céder à cette fantaisie. Nanny seule était chargée de la servir.

Les choses qui arrivent ordinairement à tels ou tels individus, se représentent plus souvent que nous ne le croyons, parce qu’elles sont pour ainsi dire une conséquence de leur nature. Le sentiment de l’individualité, les penchants, les tendances, les localités, les entourages et l’habitude, forment un élément, une atmosphère où seuls nous vivons et respirons à notre aise. Voilà pourquoi nous retrouvons presque toujours, après une longue absence, les amis dont la versatilité nous a souvent désespérés, tels que nous les avons quittés.