Page:Goethe - Les Affinités électives, Charpentier, 1844.djvu/348

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qui était un bonheur pour elle, est une torture pour moi. C’est par respect pour ce bonheur que je supporte cette torture, il faut que je la suive sur la route qu’elle a choisie pour me quitter ; mais la force de ma constitution, et la promesse que j’ai eu l’imprudence de lui faire me retiennent. Quelle terrible tâche que de vouloir imiter ce qui est inimitable ! Je le sens, cher ami, il faut du génie pour tout, même pour subir le martyre.

L’état d’Édouard était si désespéré qu’il nous paraît inutile de parler de la tendresse conjugale, des attentions, de l’amitié et des secours de l’art qui, pendant quelque temps encore, entourèrent cet infortuné.

Un matin Mittler le trouva mort dans son lit ; il appela le Chirurgien et examina, avec sa présence d’esprit habituelle, toutes les circonstances de ce trépas subit. Charlotte accourut, le soupçon d’un suicide se présenta à sa pensée ; elle accusa tout le monde et s’accusa elle-même d’une négligence impardonnable. Mittler et le Chirurgien la convainquirent bientôt du contraire. L’un s’appuyait sur des causes morales et l’autre sur des preuves matérielles. Il était facile de voir qu’Édouard avait été surpris par la mort. Un petit coffre et un portefeuille contenant des fleurs qu’Ottilie avait cueillies pour lui dans des moments de bonheur ; les billets qu’il lui avait écrits, sans en excepter celui que Charlotte avait relevé et qu’elle lui avait remis d’une manière si prophétique ; une boucle de ses cheveux et plusieurs autres souvenirs de son amie qu’il avait toujours soigneusement cachés, étaient ouverts devant lui ; et, certes, il ne pouvait pas avoir eu l’idée d’exposer ces précieux trésors aux regards indiscrets du premier valet que le hasard aurait pu conduire dans sa chambre.