Page:Goethe - Werther, 1845, trad. Leroux.djvu/160

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en me serrant la main. Elle était digne d’être connue de vous. » Je crus que j’allais m’anéantir ; jamais mot plus grand, plus glorieux n’a été prononcé sur moi. Elle poursuivit : « Et cette femme a vu la mort l’enlever à la fleur de son âge, lorsque le dernier de ses fils n’avait pas encore six mois ! Sa maladie ne fut pas longue. Elle était calme, résignée ; ses enfants seuls lui faisaient de la peine, et surtout le petit. Lorsqu’elle sentit venir sa fin, elle me dit : « Amène-les-moi. » Je les conduisis dans sa chambre : les plus jeunes ne connaissaient pas encore la perte qu’ils allaient faire ; les autres étaient consternés. Je les vois encore autour de son lit. Elle leva les mains et pria sur eux ; elle les baisa les uns après les autres, les renvoya, et me dit : « Sois leur mère ! » J’en fis le serment. « Tu me promets beaucoup, ma fille, me dit-elle : le cœur d’une mère ! l’œil d’une mère ! Tu sens ce que c’est ; les larmes de reconnaissance que je t’ai vue verser tant de fois m’en assurent. Aie l’un et l’autre pour tes frères et tes sœurs ; et pour ton père, la foi et l’obéissance d’une épouse. Tu seras sa consolation. » Elle demanda à le voir ; il était sorti pour nous cacher la douleur insupportable qu’il sentait. Le pauvre homme était déchiré ! Albert, vous étiez dans la chambre ! Elle entendit quelqu’un marcher ; elle demanda qui c’était, et vous fit approcher près d’elle. Comme elle nous regarda l’un et l’autre, dans la consolante pensée que nous serions heureux ensemble ! Albert la saisit dans ses bras, et l’embrassa en s’écriant :