Page:Goethe - Werther, 1845, trad. Leroux.djvu/183

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plus de sentiments inattendus. Près d’un grand tilleul qui se trouve à un quart de lieue de la ville, je fis arrêter, descendis de voiture, et dis au postillon d’aller en avant, pour cheminer moi-même à pied et goûter toute la nouveauté, toute la vivacité de chaque réminiscence. Je m’arrêtai là, sous ce tilleul qui était dans mon enfance le but et le terme de mes promenades. Quel changement ! Alors, dans une heureuse ignorance, je m’élançais plein de désirs dans ce monde inconnu, où j’espérais pour mon cœur tant de vraies jouissances qui devaient le remplir au comble. Maintenant je revenais de ce monde. O mon ami ! que d’espérances déçues ! que de plans renversés ! J’avais devant les yeux cette chaîne de montagnes qu’enfant j’ai tant de fois contemplée avec un œil d’envie : alors je restais là assis des heures entières ; je me transportais au loin en idée ; toute mon âme se perdait dans ces forêts, dans ces vallées, qui semblaient me sourire dans le lointain, enveloppées de leur voile de vapeurs ; et lorsqu’il fallait me retirer, que j’avais de peine à m’arracher à tous mes points de vue ! Je m’approchai du bourg ; je saluai les jardins et les petites maisons que je reconnaissais : les nouvelles ne me plurent point ; tous les changements me faisaient mal. J’arrivai à la porte, et je me retrouvai à l’instant tout entier. Mon ami, je n’entrerai dans aucun détail ; quelque charme qu’ait eu pour moi tout ce que je vis, je ne te ferais qu’un récit monotone. J’avais résolu de prendre mon logement sur la