Page:Goethe - Werther, 1845, trad. Leroux.djvu/192

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arbres voisins sont tombées. Ne t’ai-je pas une fois parlé d’un jeune valet de ferme que je vis quand je vins ici la première fois ? J’ai demandé de ses nouvelles à Wahlheim. On me dit qu’il avait été chassé de la maison où il était, et personne ne voulut m’en apprendre davantage. Hier je le rencontrai par hasard sur la route d’un autre village. Je lui parlai, et il me conta son histoire, dont je fus touché à un point que tu comprendras aisément lorsque je te l’aurai répétée. Mais à quoi bon ? Pourquoi ne pas garder pour moi seul ce qui m’afflige et me rend malheureux ? pourquoi t’affliger aussi ? pourquoi te donner toujours l’occasion de me plaindre ou de me gronder ? Qui sait ? cela tient peut-être aussi à ma destinée.

Le jeune homme ne répondit d’abord à mes questions qu’avec une sombre tristesse, dans laquelle je crus même démêler une certaine honte ; mais bientôt, plus expansif, comme si tout à coup il nous eût reconnus tous les deux, il m’avoua sa faute et son malheur. Que ne puis-je, mon ami, te rapporter chacune de ses paroles ! Il avoua, il raconta même avec une sorte de plaisir, et comme en jouissant de ses souvenirs, que sa passion pour la fermière avait augmenté de jour en jour ; qu’à la fin il ne savait plus ce qu’il faisait ; qu’il ne savait plus, selon son expression, où donner de la tête. Il ne pouvait plus ni manger, ni boire, ni dormir ; il étouffait ; il faisait ce qu’il ne fallait pas faire ; ce qu’on lui ordonnait, il l’oubliait : il semblait possédé par quelque démon. Un jour