Page:Goethe - Werther, 1845, trad. Leroux.djvu/211

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24 novembre.

Elle sent ce que je souffre. Aujourd’hui son regard m’a pénétré jusqu’au fond du cœur. Je l’ai trouvée seule. Je ne disais rien, et elle me regardait fixement. Je ne voyais plus cette beauté séduisante, ces éclairs d’esprit qui entourent son front : un regard plus puissant agissait sur moi ; un regard plein du plus tendre intérêt, de la plus douce pitié. Pourquoi n’ai-je pas osé me jeter à ses pieds ? pourquoi n’ai-je pas osé m’élancer à son cou, et lui répondre par mille baisers ? Elle a eu recours à son clavecin, et s’est mise en même temps à chanter d’une voix si douce ! Jamais ses lèvres ne m’ont paru si charmantes : c’était comme si elles s’ouvraient, languissantes, pour absorber en elles ces doux sons qui jaillissaient de l’instrument, et que seulement l’écho céleste de sa bouche résonnât. Ah ! si je pouvais te dire cela comme je le sentais ! Je n’ai pu y tenir plus longtemps. J’ai baissé la tête, et j’ai dit avec serment : « Jamais je ne me hasarderai à vous imprimer un baiser, ô lèvres sur lesquelles voltigent les esprits du ciel !…»

Et cependant… je veux… Ah ! vois-tu, c’est comme un mur de séparation qui s’est élevé devant mon âme… Cette félicité, cette pureté du ciel… détruite… et puis expier son crime… Son crime !