Page:Goethe - Werther, 1845, trad. Leroux.djvu/227

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impression. Il se rendit au salon, et trouva Charlotte occupée à dissuader le bailli, qui, sans être retenu par sa maladie, voulait aller sur les lieux faire une enquête sur le crime. Le meurtrier était encore inconnu. On avait trouvé le cadavre, le matin, devant la porte de la ferme où cet homme habitait. On avait des soupçons : le mort était domestique chez une veuve qui, peu de temps auparavant, en avait eu un autre à son service, et celui-ci était sorti de la maison par suite de mécontentement grave.

À ces détails, il se leva précipitamment, « Est-il possible ! s’écria-t-il ; il faut que j’y aille, je ne puis différer d’un moment. » Il courut à Wahlheim. Bien des souvenirs se retraçaient vivement à son esprit : il ne douta pas une minute que celui qui avait commis le crime ne fût le jeune homme auquel il avait parlé bien des fois, et qui lui était devenu si cher.

En passant sous les tilleuls pour se rendre au cabaret où l’on avait déposé le cadavre, Werther se sentit troublé à la vue de ce lieu jadis si chéri. Ce seuil où les enfants avaient si souvent joué, était souillé de sang. L’amour et la fidélité, les plus beaux sentiments de l’homme, avaient dégénéré en violence et en meurtre. Les grands arbres étaient sans feuillage et couverts de frimas ; la haie vive qui recouvrait le petit mur du cimetière et se voûtait au-dessus avait perdu son feuillage, et les pierres des tombeaux se laissaient voir, couvertes de neige, à travers les vides.