Page:Goethe - Werther, 1845, trad. Leroux.djvu/233

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inonder tout, le vallon bouleversé, et à sa place une mer houleuse livrée aux sifflements aigus du vent… Et lorsque, après une profonde obscurité, la lune reparaissait, et qu’un reflet superbe et terrible me montrait de nouveau les flots roulant et résonnant à mes pieds, alors il me prenait un frissonnement, et puis bientôt un désir… Ah ! les bras étendus, j’étais là devant l’abîme, et je brûlais de m’y jeter… de m’y jeter ! Je me perdais dans l’idée délicieuse d’y précipiter mes tourments, mes souffrances, avec du bruit, comme des vagues. Oh !… et tu n’eus pas la force de lever le pied et de finir tous tes maux… Mon sablier n’est pas encore à sa fin, je le sens ! O mon ami ! combien volontiers j’aurais donné mon existence d’homme, pour, avec l’ouragan, déchirer les nuées, soulever les flots ! Serait-il possible que ces délices ne devinssent jamais le partage de celui qui languit aujourd’hui dans sa prison ?

« Et quel fut mon chagrin, en abaissant mes regards sur un endroit où je m’étais reposé avec Charlotte, sous un saule, après nous être promenés à la chaleur ! Cette petite place était aussi inondée, et à peine je reconnus le saule ! « Et ses prairies, pensai-je, et les environs de la maison de chasse ! Comme le torrent doit avoir arraché, détruit nos berceaux ! » Et le rayon doré du passé brilla dans mon âme… comme à un prisonnier vient un rêve de troupeau, de prairies, d’honneurs. J’étais debout là… Je ne m’en veux pas, car j’ai le courage de mourir… J’au-