Page:Goethe - Werther, 1845, trad. Leroux.djvu/78

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spectives les murs de leur cachot, tout cela, mon ami, me rend muet. Je rentre en moi-même, et j’y trouve un monde, mais plutôt en pressentiments et en sombres désirs qu’en réalité et en action, et alors tout vacille devant moi, et je souris, et je m’enfonce plus avant dans l’univers, en rêvant toujours. Que chez les enfants tout soit irréflexion, c’est ce que tous les pédagogues ne cessent de répéter ; mais que les hommes faits soient de grands enfants qui se traînent en chancelant sur ce globe, sans savoir non plus d’où ils viennent et où ils vont ; qu’ils n’aient point de but plus certain dans leurs actions, et qu’on les gouverne de même avec du biscuit, des gâteaux et des verges, c’est ce que personne ne voudra croire ; et, à mon avis, il n’est point de vérité plus palpable.
Je t’accorde très-volontiers (car je sais ce que tu vas me dire) que ceux-là sont les plus heureux qui, comme les enfants, vivent au jour la journée, promènent leur poupée, l’habillent, la déshabillent, tournent avec respect devant le tiroir où la maman renferme ses dragées, et, quand elle leur en donne, les dévorent avec avidité, et se mettent à crier : Encore !… Oui, voilà de fortunées créatures ! Heureux aussi ceux qui donnent un titre imposant à leurs futiles travaux, ou même à leurs extravagances, et les passent en compte au genre humain, comme des œuvres gigantesques entreprises pour son salut et sa prospérité ! Grand bien leur fasse à ceux qui peuvent penser et agir ainsi ! Mais celui qui reconnaît avec humilité où