Page:Gogol - Nouvelles de Pétersbourg (extraits Le Portrait ; Le Nez), 1998.djvu/112

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que tout n’était pas dit. Il ne suffisait pas d’avoir retrouvé le nez, il fallait encore le remettre en place.

Et s’il allait ne pas tenir ?

À cette question qu’il s’était posée à lui-même, le major pâlit. Sous le coup d’une peur indicible, les mains tremblantes, il se précipita vers le miroir de sa table de toilette. Il risquait bel et bien de replacer son nez de travers ! Doucement, avec précaution, il le posa à son ancienne place. Horreur ! le nez ne voulait pas tenir !… Il l’approcha de ses lèvres, le réchauffa de son souffle, l’appliqua sur la surface lisse qui s’offrait entre les deux joues : peine perdue, le nez n’adhérait toujours pas !

« Allons, allons ! remets-toi en place, animal ! » lui disait-il, mais le nez semblait sourd et retombait chaque fois sur la table en émettant un son étrange, comme s’il eût été de liège.

« Ne voudra-t-il jamais tenir ? » s’écria le major, les traits contractés. Mais plus il le remettait en place et moins le nez voulait adhérer.

En désespoir de cause, Kovaliov envoya chercher le médecin qui habitait au premier, dans le meilleur appartement de la maison. Cet homme de belle mine possédait une femme appétissante et des favoris d’ébène ; il mangeait des pommes crues et tous les matins passait trois quarts d’heure à se rincer la bouche et à se frotter les dents avec cinq brosses différentes. Il ne tarda pas à se présenter et demanda tout d’abord quand s’était produit l’accident. Puis il souleva le menton du major et lui appliqua une chiquenaude à l’endroit où aurait dû se trouver le nez : la violence du coup