Page:Gogol - Nouvelles de Pétersbourg (extraits Le Portrait ; Le Nez), 1998.djvu/114

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

qui concerne vos honoraires, soyez persuadé que, dans la mesure de mes moyens, je…

– Voyez-vous, répliqua le médecin d’une voix entre deux tons extrêmement persuasive, voyez-vous, je n’exerce pas la médecine par esprit de lucre. Cela serait contraire à mes principes et à la dignité de mon art. Si je fais payer mes visites, c’est uniquement pour ne pas faire aux gens l’affront d’un refus. Je pourrais, c’est certain, remettre votre nez en place, mais je vous jure sur l’honneur que votre situation ne ferait ensuite qu’empirer. Laissez agir la nature. Faites de fréquentes ablutions à l’eau froide ; je vous assure que, sans nez, vous vous porterez aussi bien que si vous en aviez un. Quant à votre nez, je vous conseille de le mettre dans un bocal et de le conserver dans un peu d’alcool, ou mieux encore dans un peu de vinaigre tiédi après y avoir versé deux cuillerées d’esprit de sel. Vous pourrez alors en tirer une somme assez coquette : je serai le premier à l’acheter, si vous n’en demandez pas trop cher.

– Non, non, s’écria le major exaspéré ; je ne vous le vendrai pas, je préfère le perdre tout à fait.

– À votre aise, dit le praticien en prenant congé. Je désirais vous être utile ; vous ne le voulez pas ; c’est votre affaire. Tout au moins, croyez bien que j’ai fait tout mon possible pour vous. »

Sur ces paroles, il se retira avec un grand air de dignité, auquel Kovaliov, complètement désemparé, ne prit d’ailleurs point garde : c’est à peine si le malheureux remarqua les manchettes d’une blancheur de neige qui tranchaient sur l’habit noir de l’esculape.