Page:Gogol - Nouvelles de Pétersbourg (extraits Le Portrait ; Le Nez), 1998.djvu/121

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langue ! » En chemin, il se disait : « Si le major n’éclate pas de rire en me voyant, c’est que tout va bien. » Le major ne souffla mot. « Ça va, ça va, saperlotte ! » se répéta Kovaliov.

Il rencontra Mme Podtotchine et sa fille. Ces dames répondirent à son salut par de joyeuses exclamations, preuve que tout allait bien. Une longue conversation s’engagea. Kovaliov tira sa tabatière et se bourra consciencieusement les deux narines en marmonnant : « Voilà, belles dames ! Et vous aurez beau faire, je n’épouserai pas la gamine…, si ce n’est de la main gauche… »


Depuis lors, le major Kovaliov se fait voir partout, à la promenade comme au théâtre. Et son nez demeure planté au bon endroit, comme s’il n’avait jamais eu la fantaisie d’aller se pavaner ailleurs. Aussi le major Kovaliov se montre-t-il toujours d’excellente humeur ; il poursuit, le sourire aux lèvres, toutes les jolies femmes. On l’a même vu une fois au Bazar en train d’acheter le ruban de je ne sais plus quel ordre, chose d’ailleurs surprenante, car il n’est chevalier d’aucun ordre.

Telle est l’aventure qui eut pour théâtre la capitale septentrionale de notre vaste empire. À y bien réfléchir, beaucoup de détails en paraissent inconcevables. Sans parler de la disparition, vraiment surnaturelle, du nez et de sa réapparition en divers endroits sous forme de conseiller d’État, comment Kovaliov a-t-il pu songer à réclamer son nez par la voie des journaux ? Je ne parle pas du coût de l’annonce – n’allez pas me ranger parmi les avares ! – mais de son inconvenance, de son