Page:Gogol - Nouvelles de Pétersbourg (extraits Le Portrait ; Le Nez), 1998.djvu/62

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soigneusement leur chambre, déplorent avec leurs amies la cherté du bœuf et des choux ; elles sont souvent pourvues d’une toute jeune fille, créature effacée, muette, mais parfois agréable à voir, d’un affreux toutou et d’une pendule dont le balancier va et vient avec mélancolie. Viennent ensuite les comédiens, que la modicité de leur traitement confine en cette thébaïde. Indépendants comme tous les artistes, ils savent jouir de la vie : drapés dans leur robe de chambre, ils réparent des pistolets, fabriquent toutes sortes d’objets en carton fort utiles dans les ménages, jouent aux cartes ou aux échecs avec l’ami qui vient les voir ; ils passent ainsi la matinée, et la soirée presque de même, sauf qu’ils ajoutent parfois un punch à ces agréables occupations.

» Après les gros bonnets, le menu fretin. Il est aussi difficile de l’énumérer que de dénombrer les innombrables insectes qui pullulent dans du vieux vinaigre. Il y a là des vieilles qui prient, des vieilles qui s’enivrent ; d’autres qui prient et s’enivrent à la fois ; des vieilles enfin qui joignent Dieu sait comment les deux bouts : on les voit traîner, comme des fourmis, d’infâmes guenilles du pont Kalinkine jusqu’au carreau des fripiers, où elles ont grand-peine à en tirer quinze kopeks. Bref, la lie de l’humanité grouille en ce quartier, une lie si marmiteuse que le plus charitable des économistes renoncerait à en améliorer la situation.

» Excusez-moi de m’être appesanti sur de pareilles gens : je voulais vous faire comprendre la nécessité où ils se trouvent bien souvent de chercher un secours subit et de recourir aux emprunts ;