Page:Gogol - Nouvelles de Pétersbourg (extraits Le Portrait ; Le Nez), 1998.djvu/65

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permettait de se rendre fort utile à la science et en général au bien. Le jeune seigneur s’entoura d’artistes, de poètes, de savants : il brûlait d’encourager tout le monde. Il entreprit d’éditer à ses frais de nombreux ouvrages, fit beaucoup de commandes, fonda toutes sortes de prix. Ces générosités compromirent sa fortune ; mais, dans sa noble ardeur, il ne voulut point pour autant abandonner son œuvre. Il chercha partout des fonds et finit par s’adresser au fameux usurier. À peine celui-ci lui eut-il avancé une somme considérable que notre homme se métamorphosa du tout au tout et devint bientôt le persécuteur des talents naissants. Il se mit à démasquer les défauts de chaque ouvrage, à en interpréter faussement la moindre phrase. Et comme, par malheur, la Révolution française éclata sur ces entrefaites, elle lui servit de prétexte à toutes les vilenies. Il voyait partout des tendances, des allusions subversives. Il devint soupçonneux, au point de se méfier de lui-même, d’ajouter foi aux plus odieuses dénonciations, de faire d’innombrables victimes. La nouvelle d’une telle conduite devait nécessairement parvenir jusqu’aux marches du trône. Notre magnanime impératrice fut saisie d’horreur. Cédant à cette noblesse d’âme qui pare si bien les têtes couronnées, elle prononça des paroles, dont le sens profond se grava en bien des cœurs, encore qu’elles n’aient pu nous atteindre dans toute leur précision. « Ce n’est point, fit-elle remarquer, sous les régimes monarchiques que se voient réfrénés les généreux élans de l’âme ni méprisés les ouvrages de l’esprit, de la poésie, de l’art. Bien au contraire,