Page:Gogol - Tarass Boulba, Hachette, 1882.djvu/112

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la regardait avec une joie inexprimable rompre ce pain et le manger avidement, quand tout à coup il se rappela ce fou furieux qu’il avait vu mourir pour avoir dévoré un morceau de pain. Il pâlit et, la saisissant par le bras :

— Assez, lui dit-il, ne mange pas davantage. Il y a si longtemps que tu n’as pris de nourriture que le pain te ferait mal.

Elle laissa aussitôt retomber son bras, et, déposant le pain sur le plateau, elle regarda Andry comme eût fait un enfant docile.

— Ô ma reine ! s’écria Andry avec transport, ordonne ce que tu voudras. Demande-moi la chose la plus impossible qu’il y ait au monde ; je courrai t’obéir. Dis-moi de faire ce que ne ferait nul homme, je le ferai ; je me perdrai pour toi. Ce me serait si doux, je le jure par la Sainte Croix, que je ne saurais te dire combien ce me serait doux. J’ai trois villages ; la moitié des troupeaux de chevaux de mon père m’appartient ; tout ce que ma mère lui a donné en dot, et tout ce qu’elle lui cache, tout cela est à moi. Personne de nos Cosaques n’a des armes pareilles aux miennes. Pour la seule poignée de mon sabre, on me donne un grand troupeau de chevaux et trois mille moutons ! Eh bien ! j’abandonnerai tout cela, je le brûlerai, j’en jetterai la cendre au vent, si tu me dis une seule parole, si tu fais un seul mouvement de ton sourcil noir !