Page:Gogol - Tarass Boulba, Hachette, 1882.djvu/25

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

n’eût pu en former une semblable. La guerre finie, chaque soldat regagnait ses champs, sur les bords du Dniepr, s’occupait de pêche, de chasse ou de petit commerce, brassait de la bière, et jouissait de la liberté. Il n’y avait pas de métier qu’un Cosaque ne sût faire : distiller de l’eau-de-vie, charpenter un chariot, fabriquer de la poudre, faire le serrurier et le maréchal ferrant, et, par-dessus tout, boire et bambocher comme un Russe seul en est capable, tout cela ne lui allait pas à l’épaule. Outre les Cosaques inscrits, obligés de se présenter en temps de guerre ou d’entreprise, il était très facile de rassembler des troupes de volontaires. Les ïésaouls n’avaient qu’à se rendre sur les marchés et les places de bourgades, et à crier, montés sur une téléga (chariot) : « Eh ! eh ! vous autres buveurs, cessez de brasser de la bière et de vous étaler tout de votre long sur les poêles ; cessez de nourrir les mouches de la graisse de vos corps ; allez à la conquête de l’honneur et de la gloire chevaleresque. Et vous autres, gens de charrue, planteurs de blé noir, gardeurs de moutons, amateurs de jupes, cessez de vous traîner à la queue de vos bœufs, de salir dans la terre vos cafetans jaunes, de courtiser vos femmes et de laisser dépérir votre vertu de chevalier[1]. Il est temps d’aller à la quête de

  1. Tous les hommes armés, chez les Cosaques, se nommaient chevaliers, par une imitation lointaine et mal comprise de la chevalerie de l’Europe occidentale.