Page:Goncourt - Germinie Lacerteux, 1889.djvu/129

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si vous voyiez comme elle est gentille quand elle n’endure pas de mal ! »

Cette lettre fit à Germinie l’effet d’un grand coup qui vous pousse en avant. Elle sortit et se dirigea machinalement du côté du chemin de fer qui menait chez sa petite. Elle était en cheveux et en pantoufles ; mais elle n’y songeait pas. Il fallait qu’elle vît son enfant, qu’elle le vît tout de suite. Après, elle reviendrait. Elle pensa un moment au déjeuner de mademoiselle, puis l’oublia. Tout à coup, à mi-chemin dans la rue, elle vit l’heure à l’horloge d’un bureau de fiacres : elle se rappela qu’il n’y avait pas de départ à cette heure-là. Elle retourna sur ses pas, se dit qu’elle allait bâcler le déjeuner, puis qu’elle trouverait un prétexte pour être libre le reste de la journée. Mais le déjeuner servi, elle ne trouva rien : elle avait la tête si pleine de son enfant qu’elle ne put inventer un mensonge ; son imagination était stupide. Et puis, si elle avait parlé, demandé, elle aurait éclaté ; elle se sentait sur les lèvres : C’est pour voir ma petite ! La nuit, elle n’osa se sauver ; mademoiselle avait été un peu souffrante la nuit précédente : elle avait peur qu’elle n’eût besoin d’elle.

Le lendemain, quand elle entra chez mademoiselle avec une histoire imaginée la nuit, toute prête à lui demander à sortir, mademoiselle lui dit, en lisant la lettre qu’elle lui avait remontée de chez le portier : — Ah ! c’est ma vieille de Belleuse qui a besoin de toi toute la journée pour l’aider à ses