Page:Goncourt - Germinie Lacerteux, 1889.djvu/135

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céleste qui la rachèterait et la guérirait, comme un petit ange de délivrance, sorti de ses fautes pour la disputer et la reprendre aux influences mauvaises qui la poursuivaient et dont elle se croyait parfois possédée.

Quand elle commença à sortir de ce premier anéantissement de son désespoir, quand, la perception de la vie et la sensation des choses lui revenant, elle regarda autour d’elle avec des yeux qui voyaient, elle fut réveillée de sa douleur par une amertume plus aiguë.

Devenue trop grosse, trop lourde pour le service de sa crèmerie, et trouvant qu’elle avait encore trop à faire malgré tout ce que faisait Germinie, Mme Jupillon avait fait venir pour l’aider une nièce de son pays. C’était la jeunesse de la campagne que cette petite, une femme où il y avait encore de l’enfant, vive et vivace, les yeux noirs et pleins de soleil, les lèvres comme une chair de cerise, pleines, rondes et rouges, l’été de son pays dans le teint, la chaleur de la santé dans le sang. Ardente et naïve, la jeune fille était allée, aux premiers jours, vers son cousin, simplement, naturellement, par cette pente d’un même âge qui fait chercher la jeunesse à la jeunesse. Elle s’était jetée au-devant de lui avec l’impudeur de l’innocence, une effronterie candide, les libertés qu’apprennent les champs, la folie heureuse d’une riche nature, toutes sortes d’audaces, d’ignorances, d’ingénuités hardies et de coquetteries rustiques