Page:Goncourt - Germinie Lacerteux, 1889.djvu/16

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Puis, avec le flot de paroles qui jaillit des larmes heureuses, elle reprit, comme si, dans l’émotion et l’épanchement de sa joie, toute son enfance refluait à son cœur : — La pauvre femme ! Je la revois la dernière fois qu’elle est sortie… pour me mener à la messe… un 21 janvier, je me rappelle… On lisait dans ce temps-là le testament du roi… Ah ! elle en a eu des maux pour moi, maman ! Elle avait quarante-deux ans, quand elle a été pour m’avoir… papa l’a fait assez pleurer ! Nous étions déjà trois, et il n’y avait pas tant de pain à la maison… Et puis il était fier comme tout… Nous n’aurions eu qu’une cosse de pois, qu’il n’aurait jamais voulu des secours du curé… Ah ! on ne mangeait pas tous les jours du lard chez nous… Ça ne fait rien : pour tout ça, maman m’aimait un peu plus, et elle trouvait toujours dans des coins un peu de graisse ou de fromage pour mettre sur mes tartines… Je n’avais pas cinq ans quand elle est morte… Ce fut notre malheur à tous. J’avais un grand frère qui était blanc comme un linge, avec une barbe toute jaune… et bon ! vous n’avez pas d’idée… Tout le monde l’aimait. On lui avait donné des noms… Les uns l’appelaient Boda, je ne sais pas pourquoi… Les autres Jésus-Christ… Ah ! c’était un ouvrier, celui-là ! Il avait beau avoir une santé de rien du tout… au petit jour il était toujours à son métier… parce que nous étions tisserands, faut vous dire… et il ne démarrait pas avec sa navette, jusqu’au soir… Et honnête avec ça, si vous saviez ! On venait de par-