Page:Goncourt - Germinie Lacerteux, 1889.djvu/164

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la tête avec une idée, une seule idée que répétait sa bouche idiote : Du vitriol !… du vitriol !… du vitriol ! Et sa pensée devenant instantanément l’action même de sa pensée, son délire la transportant tout à coup dans son crime, elle montait l’escalier avec la bouteille bien cachée sous son châle ; elle frappait à la porte très-fort, et toujours… On finissait par venir ; il entre-bâillait la porte… Elle ne lui disait ni son nom, ni rien… Elle passait sans s’occuper de lui… Elle était forte à le tuer ! et elle allait au lit, à elle ! Elle lui prenait le bras, elle lui disait : Oui, c’est moi… en voilà pour ta vie ! Et sur sa figure, sur sa gorge, sur sa peau, sur tout ce qu’elle avait de jeune et d’orgueilleux, de beau pour l’amour, Germinie voyait le vitriol marquer, brûler, creuser, bouillonner, faire quelque chose d’horrible qui l’inondait de joie ! La bouteille était vide, et elle riait !… Et, dans son affreux rêve, son corps aussi rêvant, ses pieds se mirent à marcher. Son pas alla devant elle, descendit le passage, prit la rue, la mena chez un épicier. Il y avait dix minutes qu’elle était là plantée devant le comptoir, avec des yeux qui n’y voyaient pas, les yeux vides et perdus de quelqu’un qui va assassiner. — Voyons, qu’est-ce que vous demandez ? lui dit l’épicière impatientée, presque effrayée de cette femme qui ne bougeait pas.

— Ce que je demande ?… fit Germinie. Elle était si pleine et si possédée de ce qu’elle voulait, qu’elle avait cru demander du vitriol. — Ce que je de-