Page:Goncourt - Germinie Lacerteux, 1889.djvu/219

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longtemps fait raconter ce qu’elle glanait de nouvelles, ce qu’elle savait des locataires, toute la chronique de la maison et de la rue ; et cette habitude de conter, de causer comme une sorte de demoiselle de compagnie avec sa maîtresse, de peindre les gens, d’esquisser les silhouettes, avait développé à la longue en elle une facilité d’expressions vives, de traits heureux et échappés, un piquant et parfois un mordant d’observation singuliers dans une bouche de servante. Elle était arrivée à surprendre souvent Mlle de Varandeuil par sa vivacité de compréhension, sa promptitude à saisir des choses à demi dites, son bonheur et sa facilité à trouver des mots de belle parleuse. Elle savait plaisanter. Elle comprenait un jeu de mots. Elle s’exprimait sans cuir, et quand il y avait une discussion d’orthographe chez la crémière, elle décidait avec une autorité égale à celle de l’employé aux décès de la Mairie qui venait y déjeuner. Elle avait aussi ce fond de lectures brouillées qu’ont les femmes de sa classe quand elles lisent. Chez les deux ou trois femmes entretenues qu’elle avait servies, elle avait passé ses nuits à dévorer des romans ; depuis elle avait continué à lire les feuilletons coupés au bas des journaux par toutes ses connaissances ; et elle en avait retenu comme une vague idée de beaucoup de choses, et de quelques rois de France. Il lui en était resté ce qu’il faut pour avoir envie d’en parler avec d’autres. Par une femme de la maison qui faisait dans la rue le mé-