Page:Goncourt - Germinie Lacerteux, 1889.djvu/223

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s’imaginait devoir arriver. Le jour, la nuit, elle voyait sa honte exposée, publique ; elle voyait son secret, ses lâchetés, ses fautes, tout ce qu’elle portait caché sur elle et cousu dans son cœur, elle le voyait montré, étalé, découvert, découvert à mademoiselle ! Ses dettes pour Jupillon augmentées de ses dettes de boisson et de mangeailles pour Gautruche, de tout ce qu’elle achetait maintenant à crédit, ses dettes chez le portier, chez les fournisseurs, allaient éclater et la perdre ! Un froid à cette pensée lui passait dans le dos : elle sentait mademoiselle la chasser ! Toute la semaine, elle se figura, à toutes les minutes de sa pensée, être devant le commissaire de police. Huit jours entiers, elle roula cette idée et ce mot : la Justice ! la Justice telle que se la figure l’imagination des basses classes, quelque chose de terrible, d’indéfini, d’inévitable, qui est partout et dans l’ombre de tout, une toute-puissance de malheur qui apparaît vaguement dans le noir de la robe d’un juge, entre le sergent de ville et le bourreau, avec les mains de la police et les bras de la guillotine ! Elle qui avait tous les instincts de ces terreurs de peuple, elle qui répétait souvent qu’elle aimerait mieux mourir que d’aller en justice, elle s’apparaissait assise sur un banc, entre des gendarmes ! dans un tribunal, au milieu de tout ce grand inconnu de la loi dont son ignorance lui faisait une épouvante… Toute la semaine, ses oreilles entendirent dans l’escalier des pas qui venaient l’arrêter !