Page:Goncourt - Germinie Lacerteux, 1889.djvu/241

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ce qu’on rencontre, ce que le hasard des pavés fait trouver à la femme qui vague. Elle n’avait plus besoin de se donner le temps du désir : son caprice était furieux et soudain, allumé sur l’instant. Affamé du premier venu, elle le regardait à peine, et n’aurait pu le reconnaître. Beauté, jeunesse, ce physique d’un amant où l’amour des femmes les plus dégradées cherche comme un bas idéal, rien de tout cela ne la tentait plus, ne la touchait plus. Ses yeux, dans tous les hommes, ne voyaient plus que l’homme : l’individu lui était égal. La dernière pudeur et le dernier sens humain de la débauche, la préférence, le choix, et jusqu’à ce qui reste aux prostituées pour conscience et pour personnalité, le dégoût, le dégoût même, — elle l’avait perdu !

Et elle s’en allait par les rues, battant la nuit, avec la démarche suspecte et furtive des bêtes qui fouillent l’ombre et dont l’appétit quête. Comme jetée hors de son sexe, elle attaquait elle-même, elle sollicitait la brutalité, elle abusait de l’ivresse, et c’était à elle qu’on cédait. Elle marchait, flairant autour d’elle, allant à ce qu’il y a d’embusqué d’impur dans les terrains vagues, aux occasions du soir et de la solitude, aux mains qui attendaient pour s’abattre sur un châle. Sinistre et frémissante, les passants de minuit la voyaient, à la lueur des réverbères, se glisser et comme ramper, courbée, effacée, les épaules pliées, rasant les ténèbres, avec un de ces airs de folle et de malade, un de ces égarements infinis qui font travailler sur des