Page:Goncourt - Germinie Lacerteux, 1889.djvu/25

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La République en était aux soupers patriotiques, à ces repas de toute une rue dans la rue, dont Mlle de Varandeuil, dans ses souvenirs brouillés qui mêlaient leurs terreurs, voyait les tables rue Pavée, le pied dans le ruisseau de sang de Septembre sorti de la Force ! Ce fut un de ces soupers que M. de Varandeuil eut une invention qui acheva de lui assurer la vie sauve. Il raconta à deux de ses voisins de table, chauds patriotes, dont l’un était lié avec Chaumette, qu’il se trouvait dans un grand embarras, que sa fille n’avait été qu’ondoyée, qu’elle manquait d’état civil, qu’il serait bien heureux si Chaumette voulait la faire inscrire sur les registres de la municipalité et l’honorer d’un nom choisi par lui dans le calendrier républicain de la Grèce ou de Rome. Chaumette fixait bientôt un rendez-vous à ce père qui était « si bien à la hauteur, » comme on disait alors. Séance tenante, on faisait entrer Mlle de Varandeuil dans un cabinet où elle trouvait deux matrones chargées de s’assurer de son sexe, et auxquelles elle montrait sa poitrine. On la ramenait alors dans la grande salle des Déclarations, et là, après une allocution métaphorique, Chaumette la baptisait Sempronie ; un nom que l’habitude devait conserver à Mlle de Varandeuil et qu’elle ne quitta plus.

Un peu couverte et rassurée par là, la famille traversa les terribles jours qui précédèrent la chute de Robespierre. Enfin arrivait le 9 Thermidor et la délivrance. Mais la pauvreté restait grande et pres-