Page:Goncourt - Germinie Lacerteux, 1889.djvu/283

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mes de sang de ses remords, toutes sortes de souffrances étouffées dans toute sa vie et dans toute sa personne, une Passion de honte qui n’osait demander pardon qu’avec son silence !

Puis elle se grondait pour avoir pensé cela et se traitait de vieille bête. Ses instincts rigides et droits, la sévérité de conscience et la dureté de jugement d’une vie sans faute, ce qui chez une honnête femme fait condamner une fille, ce qui chez une sainte comme Mlle de Varandeuil devait être sans pitié pour sa domestique, tout en elle se révoltait contre un pardon. Au dedans d’elle une justice criait, étouffant sa bonté : Jamais ! jamais ! Et elle chassait, d’un geste implacable, le spectre infâme de Germinie.

Même par instants, pour faire plus irrévocable la damnation et l’exécration de cette mémoire, elle la chargeait, elle l’accablait, elle la calomniait. Elle ajoutait à l’affreuse succession de la morte. Elle reprochait à Germinie plus encore qu’elle n’avait à lui reprocher. Elle prêtait des crimes à la nuit de ses pensées, des désirs assassins à l’impatience de ses rêves. Elle voulait penser, elle pensait qu’elle avait souhaité sa mort, qu’elle l’avait attendue.

Mais, à ce moment-là même, dans le plus noir de ses pensées et de ses suppositions, une vision se levait et s’éclairait devant elle. Une image s’approchait, qui semblait s’avancer vers son regard, une image dont elle ne pouvait se défendre et qui tra-