Page:Goncourt - Germinie Lacerteux, 1889.djvu/290

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fosse. C’était bouché avec de vieilles planches pourries et une feuille de zinc oxydée sur laquelle un terrassier avait jeté sa blouse bleue. La terre coulait derrière jusqu’en bas, où elle laissait à jour trois bois de cercueil dessinés dans leur sinistre élégance : il y en avait un grand et deux plus petits un peu derrière. Les croix de la semaine, de l’avant-veille, de la veille, descendaient la coulée de la terre ; elles glissaient, elles enfonçaient, et, comme emportées sur la pente d’un précipice, elles semblaient faire de grandes enjambées.

Mademoiselle se mit à remonter ces croix, se penchant sur chacune, épelant les dates, cherchant les noms avec ses mauvais yeux. Elle arriva à des croix du 8 novembre : c’était la veille de la mort de Germinie, Germinie devait être à côté. Il y avait cinq croix du 9 novembre, cinq croix toutes serrées : Germinie n’était pas dans le tas. Mlle de Varandeuil alla un peu plus loin, aux croix du 10, puis aux croix du 11, puis aux croix du 12. Elle revint au 8, regarda encore partout : il n’y avait rien, absolument rien… Germinie avait été enterrée sans une croix ! On n’avait pas même planté un morceau de bois pour la reconnaître !

À la fin, la vieille demoiselle se laissa tomber à genoux dans la neige, entre deux croix dont l’une portait 9 novembre et l’autre 10 novembre. Ce qui devait rester de Germinie devait être à peu près là.