Page:Goncourt - Germinie Lacerteux, 1889.djvu/51

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À quelques jours de là, comme il y avait une grande revue au Champ de Mars, les garçons eurent congé pour la journée. Il ne resta que Germinie et le vieux Joseph. Joseph était occupé dans une petite pièce noire à ranger du linge sale. Il dit à Germinie de venir l’aider. Elle entra, cria, tomba, pleura, supplia, lutta, appela désespérément… La maison vide resta sourde.

Revenue à elle, Germinie courut s’enfermer dans sa chambre. On ne la revit plus de la journée. Le lendemain, quand Joseph voulut lui parler et s’avança vers elle, elle eut un recul de terreur, un geste égaré, une épouvante de folle. Longtemps toutes les fois qu’un homme s’approchait d’elle, elle se retirait involontairement d’un premier mouvement brusque, frémissant et nerveux, comme frappée de la peur d’une bête éperdue qui cherche par où se sauver. Joseph, qui craignait qu’elle ne le dénonçât, se laissa tenir à distance et respecta l’affreux dégoût qu’elle lui montrait.

Elle devint grosse. Un dimanche, elle avait été passer la soirée chez sa sœur la portière ; après des vomissements, elle se trouva mal. Un médecin, locataire de la maison, prenait sa clef dans la loge : les deux sœurs apprirent par lui la position de leur cadette. Les révoltes d’orgueil intraitables et brutales qu’a l’honneur du peuple, les sévérités implacables de la dévotion, éclatèrent chez les deux femmes en colères indignées. Leur confusion se tourna en rage. Germinie reprit connaissance sous