Page:Goncourt - Germinie Lacerteux, 1889.djvu/74

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souvenirs des mêmes lieux. La grosse femme était complimenteuse, doucereuse, caressante. Elle disait : Ma belle, à tout le monde, faisait la petite voix, et jouait l’enfant avec la langueur dolente des personnes corpulentes. Elle détestait les gros mots, rougissait, s’effarouchait pour un rien. Elle adorait les secrets, tournait tout en confidence, faisait des histoires, parlait toujours à l’oreille. Sa vie se passait à bavarder et à gémir. Elle plaignait les autres, elle se plaignait elle-même ; elle se lamentait sur ses malheurs et sur son estomac. Quand elle avait trop mangé, elle disait dramatiquement : Je vais mourir. Et rien n’était aussi pathétique que ses indigestions. C’était une nature perpétuellement attendrie et larmoyante : elle pleurait indistinctement pour un cheval battu, pour quelqu’un qui était mort, pour du lait qui avait tourné. Elle pleurait sur les faits divers des journaux, elle pleurait en voyant passer des passants.

Germinie fut bien vite séduite et apitoyée par cette crémière câline, bavarde, toujours émue, appelant à elle l’expansion des autres et paraissant si tendre. Au bout de trois mois, presque rien n’entrait chez mademoiselle qui ne vînt de chez la mère Jupillon. Germinie s’y fournissait de tout ou à peu près. Elle passait des heures dans la boutique. Une fois là, elle avait peine à s’en aller, elle restait et ne pouvait se lever. Une lâcheté machinale la retenait. Sur la porte, elle causait encore, pour n’être pas encore partie. Elle se sentait attachée chez la