Page:Goncourt - Germinie Lacerteux, 1889.djvu/80

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ment. Elle exigeait qu’ils n’aimassent qu’elle. Elle ne pouvait admettre qu’ils pussent distraire et donner à d’autres la moindre parcelle de leur affection : cette affection, depuis qu’elle l’avait méritée, n’était plus à eux ; ils n’étaient plus maîtres d’en disposer. Elle détestait les gens que sa maîtresse avait l’air de recevoir mieux que les autres, et d’accueillir intimement. Par sa mine de mauvaise humeur et son air rechigné, elle avait éloigné, à peu près chassé de la maison, deux ou trois vieilles amies de mademoiselle dont les visites la faisaient souffrir comme si ces vieilles femmes venaient dérober quelque chose dans l’appartement, lui prendre un peu de sa maîtresse. Des gens qu’elle avait aimés lui étaient devenus odieux : elle n’avait pas trouvé qu’ils l’aimassent assez ; elle les haïssait pour tout l’amour qu’elle avait voulu d’eux. En tout, son cœur était exigeant et despote. Donnant tout, il demandait tout. Dans ses affections, au moindre indice de refroidissement, au moindre signe de partage, elle éclatait et se dévorait, passait des nuits à pleurer, prenait le monde en exécration.

Voyant cette femme s’installer dans la boutique, se familiariser avec le jeune homme, toutes les jalousies de Germinie s’inquiétèrent et se tournèrent en rage. Sa haine se souleva et se révolta, avec son dégoût, contre cette créature affichée, éhontée, que l’on voyait le dimanche attablée sur les boulevards extérieurs avec des militaires, et qui avait le