Page:Goncourt - Germinie Lacerteux, 1889.djvu/91

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leurs enfants dans de petites voitures, des gamins revenaient, avec leurs lignes, de pêcher à Saint-Ouen, des gens traînaient au bout d’un bâton des branches d’acacia en fleur.

Quelquefois une femme enceinte passait tendant les bras devant elle à un tout petit enfant, et mettait sur un mur l’ombre de sa grossesse.

Tous allaient tranquillement, bienheureusement, d’un pas qui voulait s’attarder, avec le dandinement allègre et la paresse heureuse de la promenade. Personne ne se pressait, et sur la ligne toute plate de l’horizon, traversée de temps en temps par la fumée blanche d’un train de chemin de fer, les groupes de promeneurs faisaient des taches noires, presque immobiles, au loin.

Ils arrivaient derrière Montmartre à ces espèces de grands fossés, à ces carrés en contre-bas où se croisent de petits sentiers foulés et gris. Un peu d’herbe était là frisée, jaunie et veloutée par le soleil qu’on apercevait se couchant tout en feu dans les entre-deux des maisons. Et Germinie aimait à y retrouver les cardeuses de matelas au travail, les chevaux d’équarrissage pâturant la terre pelée, les pantalons garance des soldats jouant aux boules, les enfants enlevant un cerf-volant noir dans le ciel clair. Au bout de cela, l’on tournait, pour aller traverser le pont du chemin de fer, par ce mauvais campement de chiffonniers, le quartier des limousins du bas de Clignancourt. Ils passaient vite contre ces maisons bâties de démolitions volées, et