Page:Goncourt - Journal, t1, 1891.djvu/101

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Puis Gavarni nous parle du salon de la duchesse d’Abrantès, où un moment il alla beaucoup. Là se donnaient rendez-vous toutes sortes de mondes. Un jour il y vit l’amiral Sydney Smith mettre un genou en terre pour baiser la main de la duchesse. La duchesse, une femme très forte avec un peu de la voix d’une harangère, mais avec un beau port de corps et de grandes manières. On y voyait Mme Regnault de Saint-Jean-d’Angély, la duchesse de Bréant, etc., etc., un bataillon de vieilles femmes, mais qui avaient conservé ce je ne sais quoi des femmes qui ont été belles. Un jour, Gavarni y rencontra une petite femme grassement commune et, selon son expression, « puant la petite bourgeoisie ». Il demanda qui c’était, on lui répondit : « Mme Récamier. »

— Dans la maison en face la mienne, il me semble m’apercevoir qu’une femme regarde, regarde sans cesse du côté de nos fenêtres. C’est une femme honnête qui a une voiture et un mari. Pendant que, de son cabinet de toilette, la vue de cette femme me cherche, le mari, de sa chambre à lui, où il passe une partie de ses journées, penché sur la barre de sa fenêtre, fixe, des heures entières, un pavé de la cour, toujours le même. Ce mari, à la calvitie très visible, a quelque chose d’un oiseau déplumé et mélancolique. Ni trop jeune, ni trop belle n’est la femme, qui n’a rien même de ce que j’aime chez une femme. Parfois, je m’amuse à observer derrière mes persiennes ; m’aperçoit-elle, aussitôt, tout en paraissant