Page:Goncourt - Journal, t1, 1891.djvu/123

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devenu un château bourgeois, et ce jardin tout coupé de bosquets et de méandres de rivière.

Mais, déjà, que de choses changées, disparues ! Le vieux bac où nous passions et repassions, n’est plus. Le petit pont qui était l’écueil des bateliers et que tant de fois le bateau cogna, il dort sous la rivière. Et le bras bordant l’île aux grands peupliers, l’étroit bras de rivière a été élargi. Et le vieux pommier aux pommes vertes, criantes sous la dent, est mort… Mais, toujours, le pavillon de la Ganachière commande la passerelle de fil de fer qui bondit sous le pas, et l’immense vigne vierge lui est toujours un manteau, vert au printemps, pourpre à l’automne.

En revoyant ces endroits aimés, je me ressouviens des uns et des autres, et de mes petits compagnons et des petites demoiselles qui étaient alors mes camarades : les deux Bocquenet, dont l’aîné courait si fort, mais ignorait l’art des détours ; Antonin qui semblait un petit lion ; Bazin qui se plaignait toujours du sort et ne décolérait pas de perdre ; Eugène Petit, le frère de lait de Louis, qui nous jouait de la flûte dans le dortoir où nous couchions sous la même clef. Je n’oublie pas le très bénin Jupiter de notre bande, le roi constitutionnel de nos jeux, « le père Pourrat », le précepteur de Louis, qui avait l’intelligence de nous montrer parfaitement à jouer et le bon esprit de s’amuser avec nous, autant que nous, — affligé du seul défaut de nous lire sa fameuse tragédie intitulée : les Celtes. Et donc, les petites demoiselles : Jenny qui montrait