Page:Goncourt - Journal, t1, 1891.djvu/156

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loux jaunes, tristes comme des jardinets d’invalides. À gauche une grande avenue, et sur les bancs qui touchent à l’avenue et qui sont sur le bord du soleil, des têtes à l’ombre, et des dos ronds faisant le gros dos, que la chaleur réchauffe, que l’ensoleillement frictionne.

Sous ces arbres un monde, mais un monde qui remue et bruit à peine, un monde qui se traîne ou demeure, la tête baissée sur la poitrine, les mains prenant appui sur les nœuds des genoux. Et c’est un bourdonnement fêlé : des lèvres blanches versant dans la conque cireuse des oreilles, des idées en enfance, les marmottages et radotages du passé, hantant ces vieilles cervelles comme un revenant, des paroles édentées, étoupées, bavées entre deux gencives.

Les oiseaux jouent, confiants, sans peur, s’approchant tout près, entre ces jambes qui ne courront plus. Il y a de vieilles petites créatures séchées et ratatinées, empaquetées dans un étoffement de laine, les plis de leurs jupes comme de gros tuyaux d’orgue écrasés, l’os maigre de leur jambe, à l’énorme cheville, perdu dans le bas bleu tombant sur la galoche.

On voit passer des figures de buis, balayées des flasques barbes d’un bonnet de nuit, le châle dépassant la camisole : des caricatures lentes, appuyant leur pas qui tremble sur la béquille d’un vieux parapluie. D’autres, avec un grand abat-jour sur leur bonnet, sont abîmées dans un pliant ; celles-là, affaissées trois par trois, sur un banc, s’épaulent entre elles.